Définition

On serait bien en peine aujourd’hui de définir “la” chorale liturgique tant celle-ci recouvre des entités bien différentes les unes des autres. En effet, on trouve sous cette appellation à la fois quelques personnes de bonne volonté qui se réunissent le dimanche, souvent autour d’un instrumentiste, organiste ou guitariste, et des maîtrises de cathédrales en passant par des chorales à voix mixtes, parfois constituées de longue date, des chœurs d’enfants, des chorales de jeunes… On trouvait déjà cette variété au sortir du Concile, en 1966. En témoigne un sondage réalisé par Eglise qui chante qui signale que les éléments dont se composent les chorales liturgiques sont très divers :

« manécanterie, maîtrise de cathédrale, religieuses, collégiens. Dans la plupart des cas, il s’agit d’éléments provenant de la paroisse : chanteuses surtout (dont le nombre varie entre 20 et 5), chorales mixtes (entre 25 et 12 membres, souvent une douzaine), chorale d’enfants (du catéchisme ou d’une école). »[1]

On pourrait dire que la chorale liturgique comme telle n’existe pas ! Sans doute faut-il la redéfinir d’après sa fonction et non d’après sa constitution. En effet, ce que l’on constate c’est qu’un nombre variable de personnes se réunissent le dimanche au sein de l’assemblée pour assurer une fonction de chant dans la célébration liturgique. Aujourd’hui, plutôt que de parler de chœur ou de chorale, on désigne habituellement cet ensemble de personnes par le terme “groupe choral”. Pour poursuivre notre réflexion sur la chorale liturgique, sans doute convient-il maintenant de définir la fonction du chant dans la liturgie de Vatican II ?

Le chant dans la liturgie de Vatican II

Dans la réforme liturgique mise en place par Vatican II, le chant a changé de statut. En effet, il n’est plus considéré comme un élément décoratif superposé à l’action liturgique ; il est lui-même un élément rituel de cette action. Il ne s’agit donc plus de chanter dans la liturgie mais de “chanter la liturgie”. Les actes de chant de la célébration ne trouvent pleinement leur sens qu’au sein de celle-ci. Le chant dans la liturgie se fait tantôt litanie, tantôt acclamation, tantôt dialogue ou encore hymne, tropaire… Il est donc un chant rituel qui répond à la fonction que l’action liturgique attend de lui. Nous sommes loin d’un Ordinaire de messe ou de quelques motets chantés en polyphonie par la chorale seule pendant que se déroule l’action du prêtre et que le peuple “assiste” à la messe. Aujourd’hui, il ne s’agit d’ailleurs plus d’un peuple, mais d’une assemblée. Celle-ci est le premier acteur de la célébration et du chant ! Nous sommes en présence d’une assemblée célébrante avec à sa tête un président qui, tantôt dialogue avec elle, tantôt prie en son nom.

Si, dans la liturgie, le premier acteur du chant est l’assemblée cela ne signifie pas que celle-ci doive tout chanter. L’assemblée est un acteur du chant parmi d’autres : le président de la célébration, le chantre-animateur et la chorale. La répartition des rôles devra tenir compte de la forme du chant en lien avec l’action rituelle, comme le souligne l’Instruction Musicam Sacram du 5 mars 1967 :

Il lui [la chorale] revient en effet d’assurer la juste exécution des parties qui lui sont propres, selon les divers genres de chant, et d’aider la participation active des fidèles dans le chant. (M.S. n° 19)

Prenons par exemple le tropaire, chant, qui a pour forme, stance ( ou grande antienne) – refrain – verset 1 – refrain – verset 2 – refrain – verset 3 – refrain – stance – refrain, la chorale intervient principalement dans la stance, ce qui ne l’empêche pas d’intervenir également dans le refrain pour soutenir le chant de l’assemblée ou même rehausser celui-ci par une polyphonie. Les versets reviendront généralement à un ou des solistes, encore que, dans certains cas, ils sont parfois écrits pour un chœur polyphonique.

Le rôle de la chorale dans la célébration liturgique

Un peu d’histoire

Il convient sans doute de rappeler que la chorale à 4 voix mixtes, chantant l’Ordinaire de la messe ou quelques motets au cours d’un office religieux, telle qu’on la connaissait avant la réforme liturgique est un des derniers avatars d’un groupe dont la composition a varié dans l’histoire de la liturgie.

Durant les trois premiers siècles, on ne trouve pas de trace de l’existence d’un groupe choral spécial dans les assemblées. Le chant est assuré par le chantre-psalmiste et l’assemblée. Vers la fin du IVème siècle, on voit apparaître des célibataires, hommes ou femmes, ascètes et assidus à la prière liturgique, qui appartiennent à la communauté chrétienne de l’endroit, se regrouper en deux chœurs dans les premiers rangs de l’assemblée pour favoriser et faciliter le chant de celle-ci. Il ne s’agit pas de chantres spécialisés, mais d’une sorte d’élite de l’assemblée.

Vers le VIIème siècle, pour répondre à des formes nouvelles de chants liturgiques, on voit apparaître des clercs professionnels du chant. Leur chant va se distinguer de celui du peuple. le développement de la polyphonie et son usage liturgique vont encore modifier l’image de la chorale. Celle-ci devient la « maîtrise » et elle prend en charge la « messe » musicale. Souvent la totalité du chant liturgique est assuré par elle. Cette manière de faire a pu nous laisser croire que le chant dans la célébration était avant tout l’affaire de « spécialistes » auxquels la chorale appartient. Au regard de l’histoire, on s’aperçoit que c’est l’assemblée qui a joué le rôle fondamental du chant dans la liturgie. Ce n’est que peu à peu que le transfert de compétences s’est opéré.[2]

Précédant la chorale à voix égales ou à voix mixtes telle qu’on la connaissait avant Vatican II et en concurrence avec celle-ci durant la première moitié du XXème siècle, l’existence du lutrin mérite d’être signalée. Ce lutrin en sa formule moyenne est défini « comme une instance de voix d’hommes, réservée, exclusivement spécialisée dans la profération chantée de répertoires latins définis, si ce n’est localement limités et pratiqués en fonction des besoins paroissiaux élémentaires [3]». Avant de mettre l’accent sur l’interprétation, sur le matériau musical, ces chantres du lutrin ont d’abord pour tâche de faire en sorte que le chant rituel soit assuré dans la célébration liturgique parfois même au détriment de la qualité esthétique du répertoire. La plupart du temps, ces chantres étaient formés « sur le tas » par ceux qui les précédaient dans cette fonction. Pourquoi évoquer ici ces lutrins si ce n’est pour montrer que les  “groupes chorals”, souvent composés de quelques chanteurs, que l’on trouve aujourd’hui dans les paroisses sont parfois plus proches de ces chantres de lutrin d’autrefois que des chorales constituées que l’on trouvait avant la réforme liturgique de Vatican II. En effet, on attend aujourd’hui d’un groupe choral qu’il assure les chants rituels de la célébration en relation avec les autres acteurs du chant dont l’assemblée.

Une nouvelle fonction de la chorale dans la liturgie de Vatican II

Au moment de la réforme conciliaire, on a dit fréquemment que la chorale n’avait plus sa place dans la célébration liturgique. Certains curés ont d’ailleurs manqué de tact vis à vis des chœurs ou des maîtrises qui assuraient les messes chantées, les “Grands Messes”, dans leur église. Vatican II n’a pas aboli le rôle de la chorale dans la liturgie, au contraire il l’a redéfini en lui donnant peut-être une fonction beaucoup plus importante qu’auparavant.

En raison du rôle liturgique qu’elle remplit, « la chorale » – ou la « chapelle musicale », ou la « Schola Cantorum » – mérite une attention particulière. Sa fonction a pris encore plus d’importance et de poids par la suite des dispositions du Concile concernant la restauration liturgique. » (Instruction Musicam Sacram » 1967, n° 19)

C’est le rapport de la chorale à l’assemblée qui, principalement, a posé problème. Le chant de l’assemblée allait-il supplanter celui des chorales traditionnelles ? Dans beaucoup d’endroit, l’assemblée est apparue comme une rivale de la chorale parfois constituée de longue date. On n’avait d’ailleurs pas encore bien compris la fonctionnalité du chant dans la célébration. Celui-ci était toujours considéré comme une élément esthétique, un “décorum”, et non comme une forme d’expression de l’assemblée célébrante.

La question du répertoire était, elle aussi, en jeu. La plupart des chorales pratiquaient un répertoire traditionnel issu du mouvement caecilien. Le début du chant liturgique en langue française n’a pas non plus produit que des chefs d’œuvre ! Beaucoup de chefs de chœur qui avaient l’habitude de pratiquer la musique polyphonique ou le chant grégorien n’ont pas accepté de mettre à leur répertoire ce que l’on a parfois appelé des “cantiques-minutes”. De plus la question du répertoire restait également liée à celle de la conservation du patrimoine des chefs d’œuvre de la musique sacrée. Ici aussi surgissait l’opposition entre une esthétique esthétisante, du pulchrum, et une esthétique du “convenable”, de l’aptum. La querelle a quelques fois été virulente. En témoigne cette citation d’un ouvrage écrit en 1968, au cœur du débat, par le Père Emile Martin, directeur des Petits Chanteurs de Saint-Eustache :

Au répertoire traditionnel, on substitue hâtivement une production aussi abondante que rachitique ; aux cantiques populaires, de valeur inégale certes, on oppose des « cantillations » uniformément ternes, dignes d’une communauté de fidèles sous-développés.[4]

A noter aussi que le style musical pratiqué dans les églises était souvent associé à la culture “bourgeoise”, signifiant par-là que le culte de l’Eglise s’adressait en priorité au “notables” dont le curé faisait d’ailleurs partie de part sa fonction.

Que faire donc de ce groupe constitué dans une liturgie renouvelée qui devenait dès lors le bien de tous ? Cette nouvelle conception théologique de la célébration affectait la chorale, qui devait trouver un sens nouveau au sein de l’action liturgique. Celui-ci proviendra désormais de l’action liturgique elle-même et du nouveau rapport qui s’établissait entre les différents acteurs du chant.

La question du rôle joué par la chorale par rapport à celui de l’assemblée, même si elle a beaucoup évolué depuis le Concile, demeure toujours une question d’actualité. Dans un congrès d’Universa Laus en 1967, Jean-Yves Hameline affirmait déjà que « c’est au sein d’une assemblée qui chante que la chorale trouve le plus facilement sa place, et connaît à tout coup le meilleur rayonnement[5] ». En 1995, le chef de chœur suisse, Michel Veuthey, publie un livre qui a pour titre : « La chorale au cœur de l’assemblée[6] ». Ainsi s’exprime-t-il sur cette question :

Le retour de la chorale au cœur de la liturgie, donc au cœur de l’assemblée, constitue une telle mutation, par rapport à des siècles d’éloignement et de fonctionnement de caractère prioritairement esthétique, que beaucoup le considèrent comme une nouveauté, et surtout comme une déchéance. Si l’on y réfléchit sans préjugé, si l’on parvient à dépasser la vision née d’une trop longue habitude, c’est au contraire une valorisation importante du rôle de la chorale qui s’opère sous nos yeux. En effet, nous assistons à la réintégration d’un élément devenu un bel accessoire – puisque la chorale ne servait naguère qu’à rehausser une messe paroissiale hebdomadaire – et appelé à retrouver une place beaucoup plus constante dans le déroulement rituel.[7]

Ce même auteur poursuit sa réflexion en appliquant au rapport entre la chorale et l’assemblée ce qu’il appelle “la règle des trois prépositions” : la chorale est dans l’assemblée, elle chante le plus souvent avec l’assemblée, même si parfois elle chante pour l’assemblée.

Même si elle est un groupe, une “communauté” structurée au sein d’un groupe plus large, l’assemblée, la chorale est partie intégrante de celle-ci. Ce qui signifie qu’elle prie, qu’elle écoute la Parole, qu’elle communie, qu’elle chante avec l’assemblée. Ce groupe choral ayant déjà répété les chants au préalable aura pour tâche d’aider l’assemblée à maintenir une qualité du chant. Celle-ci se marquera à travers la justesse rythmique et mélodique, le maintient du tempo, la précision des attaques et des enchaînements.

La chorale aura aussi un rôle pédagogique vis à vis de l’assemblée. Lorsque le chant sera nouveau ou non suffisamment connu, le groupe choral chantera une première fois l’intervention de l’assemblée avant que celle-ci ne chante la partie qui lui revient. La chorale a donc pour “ministère” de soutenir le chant de l’assemblée. Nous venons ici de parler de “ministère” de la chorale, et il s’agit véritablement d’un ministère dans son sens premier à savoir un “service”. La chorale est “au service” de la célébration, et plus particulièrement de l’assemblée. Elle doit permettre que le chant soit, dans toute sa justesse, c’est-à-dire ajusté à l’action rituelle et aux moyens dont on dispose.

Chanter avec l’assemblée ne signifie pas chanter constamment en même temps que l’assemblée. Le groupe choral au sein de l’assemblée structure également celle-ci. Il est un élément de différenciation et de contraste. Souvent, il dialogue avec elle. Il existe bien des formes de chant dialoguées au cours de la célébration. La plus connue est sans doute la forme “couplet-refrain”, les couplets revenant à la chorale. Mais il existe aussi d’autres formes, la litanie, l’acclamation, le tropaire dont nous avons parlé ci-dessus, qui nécessite la participation d’un groupe choral.

Lorsque la chorale est invitée à chanter avec l’assemblée, se pose la question de la polyphonie. Quand une chorale doit-elle chanter en polyphonie si elle le peut ? Avant de répondre à cette question soulignons d’abord le fait que ce n’est pas démériter que de chanter à l’unisson ! Nous avons encore trop souvent dans la tête le modèle de la chorale à quatre voix mixtes. Pourtant il existe une beauté de l’unisson. Celui-ci est aussi une belle expression symbolique de l’unité des cœurs, de l’Una voce. Avant d’envisager la polyphonie, signalons aussi qu’une chorale peut pratiquer ce que Michel Veuthey a appelé la plurivocalité. Il s’agit de répartir l’unisson entre les voix de femmes, les voix d’hommes et pourquoi pas les voix d’enfants. Un changement de timbre en fonction des phrases du chant renouvelle l’intérêt et suscite l’attention. La chorale peut ainsi renouveler l’image sonore du chant.

Venons en maintenant à la polyphonie proprement dite. Si on n’y prend garde, celle-ci peut constituer un danger et réduire l’assemblée au silence. En effet, si un chant est immédiatement présenté en polyphonie, l’assemblée ne perçoit pas aisément la ligne mélodique qui lui revient. Le chant apparaît comme réservé à la chorale et l’assemblée est réduite au silence. Par contre, une fois la mélodie bien connue, la polyphonie apportera un déploiement sonore et donnera du relief au chant. Elle sera aussi l’expression de la diversité des voix au service d’une œuvre commune. « La polyphonie peut, dans la célébration, constituer comme telle une évocation concrète du monde et des multiples voix des hommes[8] ». La chorale a aussi un rôle polyphonique à jouer dans les parties de chant qui lui reviennent. On pourra trouver dans le répertoire actuelle en langue française des pièces d’une écriture polyphonique d’ailleurs assez élaborée, qui s’adressent à une chorale polyphonique. On constate ces dernières années que des maîtrises de cathédrales françaises s’intéressent de plus en plus à des pièces liturgiques en langue française qui concilient habilement le chant de l’assemblée et celui de la chorale tout en respectant la fonction rituelle du chant. Plusieurs enregistrements en témoignent. Cette diversité des acteurs au sein d’une même pièce vocale, permet aussi la recherche d’un langage musical plus contemporain, puisque les parties les plus complexes reviendront à un groupe dont les compétences musicales sont supérieures à la “compétence commune” de l’assemblée. Chanter en polyphonie renforcera aussi le caractère festif de certaines célébrations.

La chorale est aussi invitée à chanter pour l’assemblée. Il y a encore des moments dans la célébrations eucharistiques où la chorale peut interpréter une belle pièce du répertoire en lien avec la fête ou le temps liturgique. Les moments les plus favorables sont la procession des dons – anciennement l’offertoire – et la communion.

Questions de répertoire

Tout au long de ce qui précède, il n’a guère été question de répertoire pour la chorale. Mais existe-t-il encore un répertoire de chants liturgiques propres à la chorale ? Certainement, et la revue Voix Nouvelles[9] en publie dans sa rubrique La cuisine du chef. Cependant, si la chorale s’inscrit dans la perspective de Vatican II, la question du répertoire ne se pose plus en fonction des acteurs du chant mais en tenant compte de la ritualité de la célébration. Nous avons vu également que le rôle principal de la chorale est de soutenir le chant de l’assemblée et de dialoguer avec elle. Le répertoire sera donc celui des chants rituels qui permettent de « chanter la liturgie ». La plupart de ceux-ci supposent une participation de l’assemblée pour les parties qui lui reviennent. Même les chants qui sont uniquement réservés à la chorale ont une fonction rituelle au sein de la célébration puisqu’ils accompagnent soit l’apport des dons et la préparation de la table, soit la procession de communion. Ils peuvent aussi jouer le rôle d’un chant de médiation après la communion. Dans ce cas, l’acte de chant constitue lui-même le rite.

En analysant le répertoire des chants rituels pour la messe, par exemple en consultant les titres du recueil Chants notés de l’assemblée[10], on s’apercevra que la plupart de ceux-ci existent, soit avec une harmonisation à voix mixtes qui « colore » la ligne mélodique, soit avec une partie chorale propre[11].

La chorale : une communauté au sein de la communauté paroissiale

La chorale constitue un groupe en soi, qui a sa propre structure. Souvent elle s’organise autour d’un chef qui assure l’apprentissage du répertoire. Certaines chorales se répartissent en « voix » avec parfois des chefs de pupitre. Des chorales disposent aussi d’un président, d’un secrétaire, d’un comité, qui veillent à la bonne organisation matérielle et temporelle.

Chaque chorale a une « histoire », parfois ancienne. Les membres qui se réunissent partagent entre eux un certain nombre d’événements, d’anecdotes, quelques fois de tensions, qui contribuent à l’existence propre du groupe. La chorale engendre une certaine convivialité. Il existe une véritable vie de la chorale, avec ses temps de répétitions, ses moments festifs, ses voyages… La chorale sous-entend le respect des autres ; elle crée des liens. Chaque membre devient pour l’autre une personne.

Une chorale nous offre ce lien social qui manque à tant de nos contemporain. Elle peut, elle doit être un lieu où les relations humaines deviennent vraies, où l’on se connaît, où l’on est appelé par son prénom, où l’on poursuit ensemble un même objectif, où l’on fait l’expérience de la vie avec les autres, au niveau physique – par la proximité, par les vibrations sonores émises et ressenties – , intellectuel, affectif et spirituel.[12]

Dans un ouvrage consacré à une réflexion psychologique sur le chœur, marquée par la théorie sur « l’aire transitionnelle » de Winnicott , Marie-France Castarède présente le chœur comme capable de « combler des désirs puissants, jamais assez satisfaits dans la réalité : désir de communiquer, d’être aimé, protégé, reconnu, désir de prestige… »[13].

Lorsqu’on chante individuellement et collectivement, il se crée un espace potentiel entre soi-même et l’environnement, espace qui n’est pas celui du rêve personnel, ni celui de la réalité extérieure. Cet espace appartient à notre monde intérieur, puisque la voix émane de notre intériorité corporelle et psychique, mais il est ouvert aux autres, c’est-à-dire à la communion et au partage. Les manifestations musicales créent des espaces transitionnels sonores où s’organise le jeu musical.[14]

En conclusion de ce chapitre consacré à l’analyse du groupe chœur, Marie-France Castarède s’exprime ainsi :

Le chœur a pour fonction de représenter symboliquement la vie. Avec lui, on retrouve idéalisée une des toutes premières institutions humaines : la famille. Si l’on regarde dans le miroir sonore qu’il nous présente, on y découvre le bonheur de l’entente, l’union des enfants autour des figures magnifiées du Père et de la Mère, l’harmonie de leurs voix fondues ensemble pour une célébration mythique. Le concert est, pour un soir, le rêve actualisé du paradis perdu.[15]

A sein de la célébration liturgique, la chorale est le seul groupe paroissial qui possède vraiment une telle cohésion. Elle apparaît comme un « modèle » de communauté, au sein de laquelle chacun assure une tâche précise au nom d’une œuvre commune. Par sa « manière d’être », la chorale devrait inviter la communauté paroissiale à tendre vers cet idéal communautaire ? Nous pourrions aisément reprendre le texte cité ci-dessus et le lire dans une perspective chrétienne. La communauté chrétienne célébrante n’est-elle pas l’image symbolique des enfants de Dieu rassemblés en Christ ? Tous ses membres sont invités à prendre, à la suite du Christ mort et ressuscité, le chemin qui conduit vers le Père, et à retrouver le Paradis perdu.

Perspectives d’avenir

Comme nous avons pu le constater, la réforme conciliaire de Vatican II n’a nullement supprimé le rôle de la chorale dans la célébration liturgique. Au contraire, elle a réaffirmé qu’il s’agissait d’un véritable “ministère” : la chorale est un des acteurs du chant au service de l’ensemble de la célébration. Dans cette nouvelle perspective, le rôle de la chorale s’est diversifié. Il ne s’agit plus d’intervenir dans la célébration comme un décor pendant que le prêtre célèbre à l’autel et que l’assemblée prie dans la nef. Il convient aujourd’hui d’élaborer ensemble une célébration liturgique dans laquelle chacun occupe une fonction bien précise au service d’une action commune. La chorale est appelée à assurer un véritable partenariat avec les autres acteurs du chant, assemblée, prêtre, chantre-animateur, instrumentistes.

Depuis plus de quarante ans, le répertoire liturgique en langue française s’est largement développé et on y trouve de nombreuses pièces de qualité dans des styles musicaux variés. Pour aider les responsables à les découvrir, plusieurs revues existent. La première, Voix Nouvelles[16], anciennement Choristes, fondée en 1966, s’adresse principalement aux chorales liturgiques. Elle est d’ailleurs la revue officielle de l’ANCOLI (Assemblée nationale des chorales liturgiques) en France. Une seconde revue, Caecilia[17], créée à la même époque, est destinée avant tout aux chorales alsaciennes. Elle propose du répertoire en langue française et en allemand. Une troisième revue, Signes-Musiques[18], plus récente puisque apparue en 1990, n’est pas essentiellement axée sur le répertoire choral, mais offre cependant de nombreux chants en polyphonie.

On constate aussi que de plus en plus de chorales s’intéressent au répertoire liturgique. Comme nous l’avons dit ci-dessus, de grandes maîtrises françaises, comme celles de Dijon, de Lyon, d’Angers… mettent à leur répertoire des chants liturgiques composés dans l’esprit de la réforme liturgique de Vatican II. Elles prêtent aussi leur concours à des enregistrements de qualité, notamment pour la diffusion de la Promotion des chants réalisée par le Centre National de Pastorale Liturgique (CNPL). En Belgique, la chorale namuroise, Peuple qui chante, a également accepté d’enregistrer les chants proposés par les dix cahiers de Répertoire commun des diocèses belges, publiés de 1992 à 2001 par la Commission Interdiocésaine de Pastorale Liturgique (CIPL). Une association de chorales tel que l’ANCOLI témoigne aussi de la vitalité de celles-ci. Les derniers rassemblement de cette association ont réuni à Lourdes de 8000 à 10000 participants ! Dans les diocèses francophones, on voit naître de plus en plus des rassemblements de chorales paroissiales, sous la forme de “matinées chantantes” ou autres, pour découvrir du répertoire, apprendre à l’utiliser judicieusement et partager le plaisir de chanter en commun. La fusion des anciennes paroisses sera aussi, à l’avenir, l’occasion de fusionner, pour certaines circonstances, les différentes chorales appartenant à ces paroisses. Il s’agira toutefois de s’accorder sur un répertoire de chants rituels de qualité. On constate ici la richesse de pouvoir disposer d’un répertoire commun de base ainsi que l’on établit les évêques de la francophonie (Belgique, Canada, France, Luxembourg, Suisse) dans le recueil Chants notés de l’assemblée[19]

Existent-il aussi des perspectives d’avenir pour des « chorales de jeunes » dans la liturgie ? Nous l’espérons car il ne faudrait pas que le terme « chorale » suggère d’emblée un groupe de personnes d’un âge déjà assez avancé ! Les jeunes sont l’avenir de nos chorales paroissiales. Certaines chorales comptent des jeunes parmi leur membres ; d’autres sont constituées uniquement de jeunes. Il ne faudrait pas lier la question des « chorales de jeunes » à celle d’un choix de répertoire. La plupart des styles de musiques, qu’ils soient classiques, néo-byzantins, proches du jazz ou de la variété…, peuvent trouver place dans la célébration liturgique à condition qu’ils servent un texte de qualité qui nourrisse la foi des participants, qu’ils répondent à la fonction rituelle du chant et que l’on dispose des moyens musicaux adéquats.

Dans toute célébration liturgique, quelque soit la composition de la chorale et le style de musique pratiqué, on veillera toujours à ce que la qualité et la justesse du chant soient le reflet de la Beauté ineffable.

Philippe ROBERT

Musicologue

  1. Claude Rozier – Jean Batteux, Les chorales liturgiques en 1966, in Eglise qui chante n° 73, 1966, p. 4.

  2. Philippe Robert, Chanter la liturgie, Les Editions de l’Atelier, Paris, 2000, p. 113.

  3. Jacques Cheyronnaud, Petite histoire de lutrins, in Les voix du plain-chant, Desclée de Brouwer, 2001, p. 83 à 156.

  4. Emile Martin, UNe Muse en péril, Essai sur la musique et le sacré, Fayard, Paris, 1968, p. 187. Sur cette querelle du chant liturgique, on pourra lire la troisième partie de cet ouvrage, Problèmes d’aujourd’hui.

  5. Jean-Yves Hameline, L’art de la chorale, in La tâche musicale des acteurs de la célébration, Kinnor n° 10, Fleurus, 1968, p. 149.

  6. Michel Veuthey, La chorale au cœur de l’assemblée, Editions Saint-Augustin, 1995.

  7. Idem, Ibidem, p. 67.

  8. Jean-Yves Hameline, op. cit., p. 161.

  9. Voix Nouvelles, rue des Remparts d’Ainay, 38, 69002 Lyon.

  10. Chants notés de l’assemblée, Bayard Presse, 2001. Ce recueil propose, à la demande des évêques, un répertoire commun pour la francophonie (Belgique, Canada, France, Luxembourg, Suisse)

  11. On peut aussi recourir à la table des polyphonies des chants avaient déjà été publiée dans le Missel noté de l’assemblée, Brépols, 1990.

  12. Michel Veuthey, op. cit., p. 96. La troisième partie de cet ouvrage est consacré à La vie de la chorale.

  13. Marie-France Castarède, Le miroir sonore, essai sur le chœur, Psychanalyse, Césura Lyon Edition, Lyon, 1989, p. 87.

  14. Idem, Ibidem, p. 88.

  15. Idem, Ibidem, p. 106.

  16. op. cit.

  17. Union Sainte Cécile, 16, rue Brûlée, 67081 Strasbourg Cedex.

  18. Signes-Musiques, 3 et 5 rue Bayard, 75393 Paris.

  19. op. cit.